Le pharaon Pô-Seth-Tut Dernier possédera tout. Chaque terrain, chaque bâtiment, chaque infrastructure et chaque dollar lui reviendra de droit, comme chaque âme sur Terre. Descendant d’une dynastie de banquiers, et grâce au labeur acharné et aux sacrifices de ses aïeux, Pô-Seth-Tut deviendra le propriétaire de la planète et de toutes ses ressources, qu’elles soient naturelles ou humaines.
Tous les gens du futur travailleront dans le domaine de la finance. Les quelques robots qui veilleront à assurer la subsistance des humains briseront peu à peu, ce qui causera une famine mondiale. Les poupons naitront et devront apprendre à compter le plus rapidement possible pour aller compter de l’argent dans les banques avant de mourir de malnutrition les uns après les autres.
Tous les jours, tous les humains prieront à la grandeur de Pô-Seth-Tut durant huit heures, car il le vaudra bien. Hommes, femmes et enfants désireront tous être à la place de Pô-Seth-Tut et ils le vénéreront sans opposition pour cette même raison.
Si tout sera à lui, il pourra en faire ce qu’il voudra. Ce qu’il fera.
Tout ceci sera prophétisé par Tel-Même-Toute, pas pharaon du tout. Ce prophète analphabète sera crucifié au pied de l’unique kyurensiramide, construite en or de la gueule à la queue en passant par l’aileron. Tel-Même-Toute sera ensuite tenu en vie pour servir d’exemple. Il sera fouetté matin, midi et soir. Des aiguilles lui seront plantées sous les ongles. Des cigares seront éteints sur sa peau. Par des pailles non recyclables, de l’eau salée lui sera soufflée dans les narines. De la microbille de verre lui sera lancé dans les yeux. Des pichenettes lui seront administrées sur les testicules, et ce à chaque minute. Il sera nourri de moisissures, de pourriture et de défécations. Et pour le punir d’avoir parlé, petits et grands feront la ligne pour le lapider en riant de lui. Ainsi sera traité Tel-Même-Toute pour avoir dit des mots vrais.
Tout le monde sera heureux de ne pas être Tel-Même-Toute. Les gens accepteront volontiers leur condition, somme toute plus enviable que celle du prophète qui sera fouetté et dont le châtiment sera diffusé vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur toutes les chaînes de télévision et tous les sites web, mais pas sans publicités.
Alors, plus personne ne mangera à sa faim. La famine généralisée sera la preuve qu’enfin l’être humain saura vénérer ce qui a permis, permet et permettra son existence. Les agriculteurs, chétifs de malnutrition, offriront toutes leurs récoltes à Pô-Seth-Tut parce qu’il sera leur monarque absolu. Après tout, ces terres arables et ces plantes seront sa propriété. C’est la loi: le bien privé était, est et sera plus important que le bien commun. À bout de force, mangeant en cachette leurs propres enfants pour trouver la force de labourer les terres, les fermiers, comme tout autre corps de métier, se saigneront pour l’intérêt de Pô-Seth-Tut. Certes, le pharaon sera intéressé par l’agonie de ses sujets, regardant à distance sécuritaire leur trépas en haute définition, mais jamais il ne ressentira d’intérêt pour eux. Tout aliment, hormis le peu de riz nécessaire à la survie de ses sujets, sera acheminé à la kyurensiramide où toute offrande pourrira au soleil, à la vue de tous, filmé de tous les angles. Puisque le pharaon possédera tout l’argent, plus personne ne pourra se payer à manger. Pour ces gens, la cohérence donnera faim, mais mieux vaudra être logique que repus.
Toutes les voitures, tous les avions et tous les yachts du monde rouilleront, comme d’anciennes reliques perdues dans la jungle, autour de la kyurensiramide dorée. À l’intérieur seront exposées toutes les œuvres d’art du monde. Tout sera à lui et il sera le seul qui pourra jouir de leur vue. Personne ne pourra connaître le plaisir, le rendant plus rare, donc plus précieux. Même ses enfants, qu’il aimait moins que tout, l’imploreront à partager, mais rien n’obligera Pô-Seth-Tut à les épargner. Les gens même seront son épargne. Alors il imposera davantage de mesures kyurensiennes à la population mondiale pour leur rappeler qui est propriétaire leur air. Tout un chacun se consolera en se disant qu’au moins, ils ne sont pas à la place de Tel-Même-Toute.
À la fin de son règne, le pharaon se rendra compte qu’il ne pourra pas acheter la mort, même avec tous les objets imaginés par l’être humain au travers des âges. Rien ne pourra le sauver, mais rien ne pourra l’empêcher de partir avec ses biens pour l’au-delà car il possédera tout.
Alors durant des mois, toute la population mondiale entreprendra ce qui sera connu comme le pèlerinage de Compost-Hell en direction de la kyurensiramide de Pô-Seth-Tut. Les plus grands marcheront sur les plus petits. Les plus voraces se nourriront des plus malingres. Une hystérie collective enflammera le globe, à savoir qui pourra profiter de la chance de trépasser dans la kyurensiramide aux côtés du plus grand pharaon qui n’ait jamais existé.
Tandis que Pô-Seth-Tut agonisera au centre de son complexe, ses gardes exécuteront les premiers arrivés en les balançant dans la gueule mécanique de la kyurensiramide. Quand tout l’intérieur de la plus grande structure humaine jamais construite sera compacté de chanceux charcutés qui se décomposeront pour redevenir poussière, les avions de l’armée feront pleuvoir toutes les bombes nucléaires du monde sur les retardataires. Ces valeureux et loyaux soldats mettront ensuite fin à leur misérable vie en s’écrasant dans les ruines de la compétitivité et du profit.
Quand il sera certain que tous ses sujets sont partis avant lui, Pô-Seth-Tut lâchera un soupir de soulagement. Il aura enfin atteint le bout de cette généreuse logique qui lui avait tant offert, mais une part de lui en voudra encore plus. C’est donc insatisfait que trépassera le dernier représentant sur Terre du requin chimérique.
Ainsi donc, Pô-Seth-Tut Dernier sera le seul pharaon qui sera plus grand que l’Histoire, ce conte de comptes. Il en sera même la profitable conclusion. Et tout ce qu’il restera de l’humanité, dans des millions d’années, sera une flaque de pétrole qui coulera de la kyurensyramide pour alimenter la combustion des moteurs des prochains êtres dotés de raison.
Le plus paradoxal de ce conte est qu’il est plus facile à envisager que la fin de l’argent elle-même.